En 2019, Tanya Bencheva-Vigier lance Native Spaces à Nice, une plateforme de location de lieux atypiques ou extraordinaires pour les particuliers et les événements d’entreprise. Pour Pôle Sociétés, elle revient sur son parcours entrepreneurial et le rôle clé de la détermination.
Comment Native Spaces a conquis l'événementiel en 4 ans ?
Très vite surnommé le Airbnb de l’évènementiel, Native Spaces a réussi à s’imposer dans un secteur par essence difficile à pénétrer lorsqu’on est une plateforme. Le tout en seulement 4 ans, dont deux années de pandémie. La startup, qui a récemment levé 2 millions d’euros auprès de Vitosha Venture Partners, un fonds bulgare, et MFG Invest, propose plus de 1 000 lieux à la location. Le catalogue ouvre les portes de maisons privées, bateaux, musées, restaurants, normalement fermés au public. La startup s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises, et permet aux propriétaires de rentabiliser leurs biens. Tanya Bencheva-Vivier, fondatrice, nous éclaire sur ce qui l’a mené à digitaliser une offre d’évènementiel, tout d’abord dans le sud de la France.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant de lancer Native Spaces ?
Originaire de Bulgarie, j'ai poursuivi des études en management international en Angleterre, avant d'effectuer des stages aux États-Unis dans des banques et des entreprises de consulting. J'ai ensuite travaillé comme consultante en stratégie chez PwC à Londres, spécialisée dans la transformation digitale, où j'ai dirigé mes propres projets. Ma rencontre avec mon futur mari à Londres et notre déménagement à Nice ont été déterminants. J’ai découvert sur place le potentiel inexploité de nombreux lieux magnifiques, souvent inutilisés.
Quelle a été l'étincelle de départ ?
L'idée m’est venue en rencontrant une personne de l'événementiel qui organisait des dîners secrets dans des lieux originaux, chez un fleuriste par exemple. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à imaginer pour rentabiliser ces espaces que sont les musées, galeries, villas, jardins, boutiques…
Comment avez-vous démarré Native Spaces ?
J'ai lancé Native Spaces seule, en autofinançant le projet avec mes économies. J'ai d'abord créé un site vitrine pour analyser la demande et, malgré un référencement initial modeste sur Google, j’arrivais à recevoir des demandes de réservation de lieux pour des mariages, des anniversaires, souvent en last minute. La Côte d’Azur est fortement plébiscitée pour ce type d'événements, mais les espaces sont réservés en moyenne deux ans à l’avance. Si les gens étaient capables d’aller jusqu’à la page 10 de leurs recherches Google pour trouver un endroit à louer, je tenais quelque chose.
Mon associé m'a rejoint peu après, et ensemble, nous avons commencé à démarcher les lieux à Nice. Notre premier partenaire a été un chef étoilé Michelin désireux d'ouvrir une salle privée dans son restaurant.
Quels ont été les principaux défis et réussites dans la construction de votre startup ?
Les défis ont été nombreux, surtout lors de la première levée de fonds et pendant la crise du Covid-19. J’ai lancé l’entreprise en 2019 et début 2020, j’ai commencé à chercher des investisseurs. Mais le Covid est arrivé, a contrecarré mon plan et mon timing très précis de preuve de concept du marché. J’ai cependant réussi à profiter de cette période pour élargir le réseau d’hôtes, tenir le support client, travailler sur le site, etc. Nous n’avions pas encore de salariés donc nous étions très agiles avec mon associé.
Les investisseurs sont revenus début 2021 et m’ont suivie pour m’aider à préparer la réouverture du marché de l’évènementiel. Cette levée de fonds d‘environ 500 000 euros a été le premier levier de croissance : en 2022, Native Spaces a généré pour 1 million d'euros de réservations, une réussite qui a solidifié notre position sur le marché et attiré davantage d'investissements, mais avec encore de nombreux défis à relever. Le paiement intégré n'était pas encore disponible sur la plateforme, par exemple. Nous avons donc recruté, développé, jusqu’à fournir une preuve de concept solide.
La levée de fonds est un moment charnière dans la vie d’une startup. Comment avez-vous géré ce processus ?
Initialement, le secteur des marketplaces est difficile à financer sans preuve concrète de concept et de marché. En 2023, la conjoncture économique était complexe : avoir géré l’entreprise de façon saine et rentable nous a fait gagner la confiance des investisseurs, et permis de lever de nouveaux fonds. 2 millions d’euros qui nous ont cette fois aidés à mettre une équipe en place, à structurer les process et à intégrer de nouvelles technologies sur la plateforme. En deux ans, nous sommes passés d’une équipe de 2 à 14, avec un rythme de croissance que j’espère tripler en 2024, avec l’idée d’être presque rentable à la fin de l’année.
Quel est donc le secret de votre réussite ?
Les difficultés changent à mesure que l’entreprise grandit. Mais je peux dire que je m’amuse beaucoup plus aujourd’hui qu’au commencement. Au début, il faut se motiver sans aucune confirmation que ce qu’on fait a du sens. Quand on est salarié, on reçoit un salaire qui confirme que notre travail vaut quelque chose. Quand on est entrepreneur, il y a de longues périodes où on travaille énormément sans aucune preuve de l’utilité de ce qu’on fait.
La clé de la réussite selon moi, ce n’est pas forcément d’être hyper malin et de tenir une idée incroyable. Elle se trouve plutôt dans la détermination : il faut s’accrocher, persister, résister, y croire. Beaucoup abandonnent parce que c’est dur.
Au cours de ma première levée de fonds, il y avait quelques investisseurs que je connaissais dans le tour de table. J’ai dit à mon mari que je ne me sentais pas capable de prendre leur argent. Il m’a répondu que si je n’étais pas prête à les laisser investir, c’est que je n’y croyais pas. Cela a été un déclic. Avoir foi en son concept est le plus important. J’y suis donc allée, malgré mes angoisses.
Quelle est votre vision du travail ? Comment passe-t-on de 2 à 14 ?
Je privilégie un management horizontal inspiré de mon expérience à Londres, où la hiérarchie était moins marquée. Nous donnons des responsabilités importantes à nos salariés dès le début, même à nos stagiaires et alternants qui passent les mêmes entretiens que s’ils postulaient à un poste de directeur. Ils auront très vite des responsabilités et doivent monter en compétences.
Quand j’ai commencé, je pensais que je savais manager. Mais avec Native Spaces, je me suis rendu compte que les équipes avaient besoin de beaucoup de structure, que je ne pouvais pas donner à tous les niveaux. Tout a changé quand j’ai recruté notre Head of Growth, qui travaillait auparavant chez Just Eat : les juniors étaient plus sereins avec un nouveau cadre, et nous avons trouvé le bon équilibre pour assurer leur bien-être et efficacité.
Autrement, je favorise un environnement de travail hybride et flexible. Nos équipes sont réparties entre Nice, Aix, Paris et la Bulgarie, l’essentiel étant de nous retrouver plusieurs fois par an.
Vous avez été danseuse de compétition : cela a-t-il eu un impact sur votre parcours entrepreneurial ?
J’ai commencé la danse de salon et la danse latine à 5 ans. La compétition a toujours fait partie de ma vie. J’ai poursuivi lorsque j’étais aux États-Unis, au niveau national. Je pense que cela m’a beaucoup aidé à ne rien lâcher, à apprendre à perdre et à recommencer. Dans l’entrepreneuriat, on perd tout le temps, et ce n’est pas grave.
Il faut toujours viser haut, même si on n’atteint pas ses objectifs. De la même manière que lorsque nos coachs de danse nous disaient de viser la première place. On ne danse pas pour être en finale, mais pour la première place.
Quel a été le meilleur conseil que vous ayez reçu ?
J’ai pris un coach qui m’a appris à accepter que l’entrepreneuriat n’était pas un sprint, mais un marathon. Il faut prendre soin de soi, on n’a pas droit au burnout puisqu’il n’y aura personne pour vous remplacer. Quand on dirige une entreprise, on n’a pas de chef au-dessus de soi pour nous autoriser un meilleur équilibre vie pro/perso, pourtant nécessaire pour maintenir une performance optimale, tant pour soi-même que pour son équipe.
Quelles perspectives attendent Native Spaces ?
Nous prévoyons d'utiliser la structure que nous avons réussi à mettre en place en 2023 pour lancer une seconde version améliorée de notre plateforme, très attendue par nos hôtes et organisateurs d'événements. Une application mobile est également en préparation. Nous envisageons d'étendre notre activité à toute la France, dont Paris, et de préparer une nouvelle levée de fonds pour développer le marché européen, avec un objectif de croissance x3, voire x5, pour les années à venir. Nous attendons également beaucoup des Jeux Olympiques 2024, qui devraient nous permettre de recruter nos futurs hôtes parisiens.