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Anne-Sophie Thomas, Gestia Solidaire : “En France, nous avons la chance d'avoir des aides pour tester une idée”

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La genèse de Gestia Solidaire : interview avec Anne-Sophie Thomas

Crédit image : Gestia Solidaire.

Comme beaucoup d’étudiants en France, Anne-Sophie Thomas a rencontré des difficultés pour se loger. Elle a tiré parti de cette expérience pour écrire une thèse et donner vie à une startup à impact, Gestia Solidaire, afin de faciliter l’accès à la location. Pour Pole Sociétés, elle dévoile en exclusivité son parcours soutenu par le programme French Tech Tremplin.

Gestia Solidaire s'adresse à tous ceux pour qui trouver un logement relève du parcours du combattant : jeunes actifs en CDD, parents séparés ne gagnant pas trois fois le montant du loyer, ou encore étudiants sans garants. Selon un rapport de la Fondation Abbé Pierre de 2020, 8 millions de locataires en France, pourtant solvables, rencontrent des difficultés pour se loger.

Partant de son expérience personnelle lorsqu’elle était étudiante et de sa thèse lors d’un MBA au Canada, Anne-Sophie Thomas décide de fonder Gestia Solidaire en 2020 avec son frère Emmanuel Thomas. L'idée : créer une agence de location qui donne leur chance aux profils atypiques en proposant des logements à des prix légèrement inférieurs au marché, tout en s'adressant aux « moins bons » profils locatifs, ceux souvent ignorés par le marché traditionnel. Grâce à des crédits d'impôts et à des garanties comme Visale, Gestia Solidaire permet aux propriétaires de louer en toute sécurité à des personnes ayant des revenus modestes, tout en ayant un impact social positif. Nous l’avons rencontrée pour parler de son parcours et de la vision qui l’anime.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à fonder Gestia Solidaire ?

Je suis Anne-Sophie Thomas, cofondatrice et présidente de Gestia Solidaire. J’ai commencé par des études littéraires, puis j'ai bifurqué vers un cursus en droit et en science politique à l'université Lyon 3. Cependant, la situation financière de ma famille, qui était retournée en Martinique, a compliqué la poursuite de mes études. Mes parents avaient des revenus limités et ne pouvaient pas couvrir le coût de mes études et d'un logement à Lyon. J'ai donc dû interrompre mes études et j'ai réfléchi à d'autres voies possibles : l'alternance est apparue comme une option intéressante. Je me suis tournée vers un BTS en immobilier, ce qui me permettait de continuer dans une branche qui m'intéressait tout en travaillant.

C’est ainsi que j’ai rejoint une entreprise d’économie sociale et solidaire, Étic, à Lyon. Ils étaient spécialisés dans l'immobilier de vie solidaire, avant même l’adoption de la loi ESS en 2014. J'ai postulé à une alternance, et j'ai eu la chance d'être retenue. J'y suis restée six ans, durant lesquels j'ai terminé mes études jusqu'au master de droit, tout en travaillant à temps plein. Ce poste m'a permis d'acquérir une expérience riche en gestion locative, montage de financement, et acquisition d'immeubles, notamment pour des projets à Lyon, Castres et Paris.

Comment est née l'idée de votre startup ?

Tout au long de cette période, je me suis interrogée sur l'accès au logement pour les jeunes. Ayant moi-même connu des difficultés financières en tant qu'étudiante en alternance, je savais qu'il y avait des solutions à explorer. Mon expérience chez Étic m'a confirmé qu'il était possible de trouver des modèles qui favorisent une plus grande équité dans l'accès au logement.

Pour approfondir mes connaissances et apporter une perspective plus large, j'ai décidé de poursuivre des études en économie urbaine et en finance. Je suis partie au Canada pour réaliser un MBA, et c'est là que l'idée de Gestia Solidaire a véritablement pris forme. Pendant deux ans et demi, j'ai travaillé sur ma thèse et une étude de marché, qui ont toutes deux servi de fondement pour créer Gestia Solidaire.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette transition du concept académique à la réalité entrepreneuriale ?

Travailler sur ma thèse m'a permis de combiner mes compétences en droit, économie urbaine et finance, et d'approfondir la question de l'accès au logement. La recherche académique m'a donné les outils pour analyser les besoins du marché et les opportunités d'intervention. C'est à partir de là que j'ai pu concevoir un modèle d'entreprise qui répondrait à ces enjeux, tout en restant fidèle à mes convictions sociales.

Gestia Solidaire est née d'une conviction profonde : celle que chacun, en particulier les jeunes en situation précaire, devrait avoir accès à un logement digne et abordable. Mon objectif est de continuer à développer cette vision en intégrant les principes d'économie solidaire dans des solutions concrètes pour le logement.

Qu’entend-on par logement solidaire ? Comment votre vision répond à cet enjeu ?

La vision de Gestia Solidaire est claire : nous voulons aider les 8 millions de personnes en France qui sont en situation de mal-logement, mais qui sont pourtant solvables. Ce chiffre, mis en lumière chaque année par la Fondation Abbé Pierre, représente une réalité invisible. Ces personnes se retrouvent coincées entre deux systèmes : elles ne peuvent accéder ni au logement social HLM ni au parc privé classique. Prenons l'exemple d'un étudiant en alternance, comme j'ai pu l'être : sans garant qui gagne trois fois le montant du loyer et sans CDI, il est très difficile de voir son dossier accepté par une agence immobilière. Et le plus souvent, ces étudiants ne sont pas éligibles aux aides spécifiques comme celles du Crous. Les dispositifs comme Action Logement existent mais ils apportent un soutien financier limité, par exemple, 100 euros supplémentaires par mois, ce qui reste insuffisant pour couvrir les besoins.

Ces personnes, bien qu'elles puissent payer un loyer, se retrouvent sans solution adéquate et sont confrontées à une réelle difficulté à accéder à un logement stable. C'est ici que Gestia Solidaire intervient : notre mission est de créer des passerelles entre ces 8 millions de personnes et des propriétaires prêts à s'engager dans la location solidaire.

Pour cela, nous accompagnons les propriétaires en leur proposant un ensemble de garanties supplémentaires, et surtout un levier fiscal attractif. Ce modèle de location solidaire n'a que des avantages : les propriétaires y trouvent un intérêt financier direct, car ils peuvent bénéficier de réductions d'impôts tout en ayant un impact social positif. Ils gagnent autant, voire plus, tout en participant activement à la lutte contre le mal-logement. En fin de compte, nous transformons ce qui pourrait être perçu comme un risque en une véritable opportunité pour les propriétaires, tout en apportant une solution durable à des millions de personnes en difficulté.

Avez-vous été accompagnée dans le lancement de Gestia Solidaire ?

J'ai eu la chance de bénéficier du programme French Tech Tremplin, qui était en plein lancement à l'époque. C'était une véritable opportunité car peu de dossiers avaient été déposés, et ce programme est vraiment excellent pour les entrepreneurs en démarrage. J'ai pu profiter de toutes les phases du programme, en commençant par la phase de préparation. On a reçu 20 000 euros pour tester le modèle et faire des études de marché, ce qui a été une aide précieuse.

Ensuite, j'ai été sélectionnée pour la phase d'incubation, cette fois avec un soutien financier de 42 000 euros pour tester le modèle commercial. Cela a véritablement lancé l'activité, surtout que je n'avais pas d'argent personnel à investir au départ. Pour compléter ce financement, je suis allée chercher des prêts complémentaires auprès de réseaux comme Initiative France, qui m'ont accordé des fonds propres pour renforcer ma trésorerie. Ce n'était pas une somme énorme, mais avec 50 000 euros supplémentaires, cela nous a permis de démarrer l'activité, de prouver que le modèle fonctionnait, et de convaincre nos premiers propriétaires.

Comment se porte l’entreprise aujourd’hui ?

La première année, nous avons réussi à convaincre 10 propriétaires de rejoindre notre modèle de location solidaire. L'année suivante, ce chiffre est passé à 40, puis à 80. Aujourd'hui, nous comptons 250 propriétaires dans notre réseau, ce qui a rendu possible une levée de fonds auprès d'investisseurs privés. Cette levée de fonds a été cruciale pour nous permettre de renforcer nos équipes, d'investir dans la communication et le marketing, et de tester une nouvelle activité de transaction immobilière.

Les deux premières années, nous étions rentables. Pour la troisième année, avec l'investissement supplémentaire, nous avons visé l'expansion et prévoyons d'atteindre l'équilibre financier d'ici la fin de l'année. Aujourd'hui, l'équipe de Gestia Solidaire compte 8 personnes, y compris les associés, et nous sommes en pleine croissance.

Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir l'entrepreneuriat plutôt qu'une carrière de salariée, surtout après votre expérience en alternance ?

Ce qui m'anime profondément dans l'entrepreneuriat, c'est la passion pour ce que je fais et la volonté d'avoir un impact réel et utile. Pour moi, cela a été une évidence, car le concept que je voulais développer n'existait pas tel que je l'imaginais. Quand je me suis lancée, je n'avais pas grand-chose à perdre : je n'avais pas d'enfant à charge, je ne quittais pas un emploi stable.

En France, nous avons la chance d'avoir des aides pour tester une idée, et je crois que l'échec n'est pas un drame en soi. Ce qui est important, c'est d'essayer, de se donner à fond et de rester motivé par quelque chose de plus grand que soi. L'entrepreneuriat, pour moi, c'est aussi une formidable occasion d'apprendre en permanence. J'ai besoin d'acquérir de nouvelles compétences, de sentir que je peux évoluer, et de bâtir quelque chose qui me dépasse, quelque chose que je pourrai transmettre et qui pourra continuer à vivre, porté par d'autres, même après moi.

C'est cet aspect de construction durable, orientée vers l'intérêt général, qui me stimule le plus. L'entrepreneuriat m'a offert l'opportunité de trouver ma place et d'occuper un rôle que je n'aurais peut-être pas pu atteindre dans un parcours salarié, ou alors après beaucoup plus de temps.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez au quotidien, en tant qu'entrepreneure ?

Nous faisons partie d'une génération qui ressent un besoin profond de sens dans ce que nous faisons, et beaucoup pensent le trouver dans une entreprise à impact. Cependant, ce que l'on découvre souvent, c'est que le sens s'accompagne de responsabilités et d'implications accrues : même si nous travaillons pour faire le bien, que ce soit sur le plan environnemental ou social, notre modèle doit rester rentable. Nous devons atteindre des objectifs précis et offrir une qualité de service élevée, tout en faisant face aux mêmes contraintes que n'importe quelle autre entreprise en termes de fiscalité et de charges.

Ce qui est parfois difficile, c'est de faire comprendre que travailler dans une entreprise à impact peut être moins confortable qu'une grande entreprise en termes de budget et de ressources. C'est un défi que de nombreux entrepreneurs dans ce domaine doivent relever : montrer que, malgré la quête de sens, les contraintes restent bien réelles et parfois même plus exigeantes.

Un autre aspect difficile concerne la mise en place de gouvernances participatives, qui est souvent un idéal dans les entreprises de l'économie sociale et solidaire. Cependant, en pratique, cela peut être compliqué à mettre en œuvre. Les gens souhaitent s'impliquer, mais ils ne sont pas toujours prêts à assumer le risque ou à prendre des décisions importantes. Trouver le bon équilibre pour que chacun puisse participer activement sans ralentir le processus décisionnel est l'un des plus grands défis auxquels je fais face.

Et dans votre vie personnelle, en tant que femme, comment vivez-vous votre parcours entrepreneurial ?

Honnêtement, en tant que femme, je ne ressens pas de difficultés spécifiques dans mon parcours. Dans le secteur de l'immobilier, il est vrai que les femmes peuvent parfois être moins nombreuses, mais je pense que celles qui y évoluent apportent souvent des niveaux d'expertise très pointus, une approche différente en matière de négociation et de travail. Cela contribue à un certain respect dans le milieu.

Cependant, il y a une réalité à laquelle j'ai été confrontée : lever des fonds en tant que femme peut parfois être plus difficile. On s'attend souvent à ce qu'une femme ait un homme à ses côtés pour légitimer son projet, ce qui est paradoxal et frustrant. Malgré cela, j'ai eu la chance de bénéficier d'un contexte favorable. L'entrepreneuriat a été encouragé par le gouvernement, avec beaucoup d'aides et d'incubateurs mettant l'accent sur la diversité. Cela m'a permis d'avancer, mais repose aussi sur l'investissement personnel qu'on y met.

Recommanderiez-vous à un nouvel entrepreneur de rejoindre un incubateur au début de son parcours ?

Absolument, c'est essentiel. Un incubateur est une ressource précieuse pour acquérir des connaissances dans des domaines que l'on ne maîtrise pas encore, qu'il s'agisse des RH, du marketing, de la communication ou des aspects commerciaux. C'est aussi un excellent moyen de gagner du temps en rencontrant des personnes à des stades différents de leur parcours entrepreneurial, et d'avoir accès à des mentors pour être accompagné.

Cela dit, il est important de garder à l'esprit que l'incubateur ne fait pas tout à notre place. Il faut savoir tirer profit des ressources et des contacts disponibles pendant cette période, car une fois que l'on quitte l'incubateur, on se retrouve souvent seul. L'incubateur ne trouvera pas des clients à notre place, il ne remplacera pas notre propre travail, mais il peut vraiment faire la différence en termes de réseau et de compétences.

Et pour conclure, quelles sont vos passions ou hobbies en dehors du travail ?

J'adore apprendre en permanence, et cela se reflète dans mes hobbies. J'aime beaucoup le cinéma, les expositions, et je suis passionnée de littérature, qui est à la base de mon parcours. La lecture me nourrit et stimule ma réflexion sur de nombreux sujets. Je fais aussi pas mal de sport, c’est mon exutoire : il me permet de relâcher la pression, de penser à moi et de maintenir un équilibre dans un emploi du temps souvent très chargé. C'est un stéréotype de l'entrepreneuriat, mais je crois vraiment que le sport est un moyen puissant de se ressourcer et de rester en forme, tant physiquement que mentalement.

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Sommaire

  • Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à fonder Gestia Solidaire ?
  • Comment est née l'idée de votre startup ?
  • Pouvez-vous nous en dire plus sur cette transition du concept académique à la réalité entrepreneuriale ?
  • Qu’entend-on par logement solidaire ? Comment votre vision répond à cet enjeu ?
  • Avez-vous été accompagnée dans le lancement de Gestia Solidaire ?
  • Comment se porte l’entreprise aujourd’hui ?
  • Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir l'entrepreneuriat plutôt qu'une carrière de salariée, surtout après votre expérience en alternance ?
  • Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez au quotidien, en tant qu'entrepreneure ?
  • Et dans votre vie personnelle, en tant que femme, comment vivez-vous votre parcours entrepreneurial ?
  • Recommanderiez-vous à un nouvel entrepreneur de rejoindre un incubateur au début de son parcours ?
  • Et pour conclure, quelles sont vos passions ou hobbies en dehors du travail ?