Médaillés du Concours Lépine, Auguste Minot et son père ont conçu une machine capable de filtrer et rendre potable toute source d’eau (à l’exception de l’eau de mer). À seulement 23 ans, ce jeune entrepreneur a su tirer parti de ses études pour se consacrer pleinement à ce projet familial. Pour Pole Sociétés, il raconte son parcours.
D'après l'OMS et l'UNICEF, 2,1 milliards de personnes, soit 30 % de la population mondiale, sont privées d'une source d'eau potable salubre. Parmi elles, 159 millions dépendent encore d'eaux de surface non traitées, issues de rivières ou de lacs. Les conséquences sont dévastatrices : les maladies hydriques se multiplient, entraînant la disparition de nombreuses familles. La solution à ce problème pourrait venir d’une startup née dans la Vienne : FiltraLife propose une machine de traitement de l’eau entièrement mécanique et dépourvue d’électronique, conçue pour s’adapter aux conditions climatiques les plus extrêmes et pour une utilisation simple pour les populations reculées.
FiltraLife a reçu la Médaille d’or du Concours Lépine en juin 2024, véritable référence dans le monde de l’invention depuis plus d’un siècle, qui a vu naître des milliers d’inventions. Cette reconnaissance et l’afflux du public ont été l’occasion pour la startup de présenter un nouveau kit destiné aux particuliers. Auguste Minot, qui vient de terminer ses études, nous raconte son engagement pour un accès à l’eau universel.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
J'ai 23 ans, je suis encore très jeune mais j'entreprends depuis l'âge de 17 ans. Mon parcours est un peu atypique : j'ai grandi à Poitiers, et après le bac, j'ai voulu découvrir la “grande ville” sans pour autant m'éloigner trop de chez moi. Je suis donc parti à Bordeaux, où j'ai intégré KEDGE, une école de commerce.
Cette expérience a été pour moi un premier plongeon dans un environnement que je ne connaissais pas vraiment. Très rapidement, on nous a demandé de travailler sur des projets entrepreneuriaux, que l'on appelle là-bas des "proactes". Cela m'a tout de suite plu, et j'ai commencé à développer une application pour les étudiants, ainsi que d'autres projets. Même si cela restait dans le cadre scolaire, c'étaient les premières étapes de mon parcours entrepreneurial.
Ensuite, dans le cadre de mon programme, qui s'appelle EBP (un programme en cinq ans), il était prévu de partir à l'étranger pour un stage, puisque c'est un programme européen. J'ai donc eu l'opportunité de partir à Barcelone, où j'ai travaillé dans une boîte de communication, Flexito. Là-bas, les choses se sont accélérées très rapidement pour moi. En l'espace de deux ou trois mois, je suis passé au poste de sales manager, et je me suis retrouvé à gérer une équipe de 7 à 8 personnes, alors que je n'avais que 19 ans.
Et vous étiez en stage à ce moment-là ?
Oui, j'étais en stage. Je suis arrivé en tant que sales, et très rapidement, j'ai découvert que j'avais un certain talent dans ce domaine. En deux ou trois mois, je me suis retrouvé à gérer une équipe, et nous avons généré entre 200 000 et 300 000 euros de chiffre d'affaires en six mois de stage. Pas mal pour un début, surtout à 19 ans.
Ensuite, vous êtes retourné en France ?
Pas tout de suite, non. Après Barcelone, je suis parti en Allemagne, à Dortmund, pour continuer mes études. J'ai un double bachelor, un en business administration et un autre en international management. Dortmund, c'était un environnement très différent, beaucoup plus rigide et moins festif que Barcelone. Les cours en Allemagne sont aussi très différents de ce que l'on peut trouver en France, mais ça s'est bien passé. J'ai passé un an et demi là-bas.
Pendant ce temps, j'ai aussi commencé à travailler sur un projet personnel : une marketplace dédiée à l'éco-responsabilité, appelée Retain Lifestyle. Je me suis rendu compte qu'il y avait un véritable intérêt pour l'éco-responsabilité, mais qu'il manquait un écosystème unique regroupant tous ces éléments. L'idée était de créer une plateforme où les consommateurs soucieux de ce qu'ils mangent, portent, et utilisent, pourraient trouver des produits traçables et respectueux de l'environnement.
J'ai réussi à convaincre plus de 15 marques partenaires, dont des noms comme Pidja, Fago, et d'autres marques de niche. Cependant, même si le projet a été lancé, je ne me sentais pas prêt à le développer pleinement à cause de mes études. Les étoiles n'étaient pas alignées à ce moment-là, et j'ai dû mettre ce projet de côté.
Comment est arrivée l’idée de FiltraLife ?
Mon père, qui est aussi mon associé aujourd’hui, m'appelle et me dit : "Écoute, j'ai un projet. J'ai trouvé un moyen de filtrer de l'eau, et je suis convaincu qu'en le mettant dans une boîte, on pourra fournir de l'eau potable aux populations en Afrique." Je lui ai dit de continuer à travailler sur son projet pendant que je partais pour un stage à Madrid. Nous avons décidé de voir comment les choses évolueraient.
À Madrid, j'ai intégré une grosse boîte de conseil appelée Ekkiden. C'est un groupe d'environ 200 employés, donc une échelle complètement différente de mes expériences précédentes. J'ai été recruté comme sales manager, mais cette fois-ci, j'avais la responsabilité de refondre entièrement le département sales pour les marchés français, allemand, espagnol et suisse.
À 22 ans, je me suis retrouvé à gérer une équipe de 20 personnes et à devoir recréer une grosse machine. C'était beaucoup de responsabilités, mais nous avons réussi à générer plusieurs millions d'euros en seulement cinq mois. C'était une expérience incroyablement enrichissante.
Vous ne vouliez pas être embauché ?
Ils voulaient me garder, mais je leur disais toujours non. La vérité, c'est que je n'arrive pas à travailler pour quelqu'un d'autre. J'ai besoin de pouvoir exprimer mes idées et de me donner à 100 % pour un projet qui me tient vraiment à cœur.
Et je n’avais pas encore terminé mes études : je quitte Madrid et je retourne en Poitou. À mon retour, je découvre que mon père a bien avancé sur son projet : il a déjà un premier prototype fonctionnel. Il me propose alors de nous lancer dans cette aventure ensemble. Je lui dis : "Allons-y."
Très rapidement, je prends en charge tout le développement de l'entreprise, tandis que mon père se concentre sur la production et la mise en œuvre, notamment pour trouver des partenariats avec des industriels. Peu de temps après, je pars à Lisbonne pour intégrer Nova, une grande école où j'ai été admis dans le programme "Entrepreneuriat et Innovation" pour ma dernière année d'études.
Ce programme se concentre sur le développement de start-ups, et pour la première fois, je sens que les étoiles sont alignées. Je me dis que c'est le bon moment pour lancer notre projet. Ainsi, FitraLife devient non seulement le sujet de mon master, mais aussi le projet central de mon année de développement.
Cela vous a-t-il aidé de concilier études et projet entrepreneurial ?
Oui, cela m'a énormément aidé. J'avais un peu d'avance par rapport aux autres étudiants du programme. Beaucoup n'avaient pas encore de projet concret en arrivant, tandis que moi, je me retrouvais avec une entreprise dans laquelle nous avions déjà investi plusieurs centaines de milliers d'euros. Nous étions déjà engagés sur des marchés importants. Donc oui, j'avais une bonne longueur d'avance, ce qui m'a permis de rester concentré à 100 % sur ce projet tout au long de l'année.
Et cette année a été riche en accomplissements, n'est-ce pas ?
Absolument. Nous avons réussi à nous faire connaître, notamment en remportant le concours Lépine, ce qui a été une belle reconnaissance pour notre travail. Nous avons également réalisé nos premières ventes, et les commandes continuent de tomber. Le carnet de commandes est plein, ce qui est très encourageant. Cette semaine, nous lançons un nouveau produit en précommande, avec un lancement officiel prévu pour la rentrée. Nous avons aussi de grands projets à l'international, avec des déplacements en Afrique dès septembre.
Vous êtes maintenant à plein temps sur ce projet avec votre père ?
Oui, tout à fait. Depuis la fin de mes études, je suis à plein temps sur FitraLife, tout comme mon père. En réalité, depuis septembre dernier, je vivais déjà une double vie : j'avais mes cours en journée, et la nuit, je travaillais sur Fitra Life. C'était une année vraiment intense, mais incroyablement gratifiante.
Comment votre père a-t-il créé cette machine ?
C'est une histoire assez simple, mais qui a demandé beaucoup d'efforts. Mon père a conçu ce premier prototype lui-même. Le prototype fonctionnait, mais il n'était pas encore assez développé ou optimisé. Alors, ensemble, nous avons pris l'initiative de partir à la rencontre de partenaires potentiels. Nous avons pris l'avion plusieurs fois pour aller présenter notre solution à de grands acteurs de la technologie, souvent dans des contextes où ces technologies n'étaient pas encore appliquées.
Nous avons présenté notre produit et, à notre grande satisfaction, beaucoup de gens se sont enthousiasmés pour notre mission et pour l'aspect totalement innovant de notre produit. Nous avons réussi à assembler des technologies de manière inédite, ce que personne n'avait fait avant nous. C'est ce qui a vraiment marqué le lancement de Filtralife et a créé la différenciation de notre innovation sur le marché.
Est-ce que c'était important pour vous de lancer une startup à impact ?
Oui, absolument. C'était très important pour moi. En plus, ma mère est sénégalaise, donc j'ai des attaches personnelles avec l'Afrique. Je connais bien les défis auxquels cette région est confrontée, car j'ai encore de la famille là-bas. Pour moi, en tant que jeune, ces enjeux me parlent peut-être encore plus qu'à quelqu'un qui a déjà accompli une carrière professionnelle. À 23 ans, j'ai encore tout à faire, et lancer une startup à impact était une priorité.
Comment Filtralife se développe-t-elle aujourd'hui ? Avez-vous bénéficié d'aides ou de subventions pour soutenir votre croissance ?
En réalité, nous n'avons reçu aucune aide, aucune subvention. Nous avons tout développé par nous-mêmes, en réinvestissant systématiquement dans l'entreprise. Tout ce que nous avons accompli jusqu'à présent a été autofinancé.
La médaille d'or du concours Lépine a été un gros booster. Nous n'avons pas participé au concours dans l'idée de toucher notre cible principale, qui n'est pas vraiment le grand public : c'était surtout le projet de mon père, de sa génération, en tant qu'ingénieur. Pour lui, c'était un peu un rêve de gosse, donc nous l'avons fait aussi pour lui faire plaisir.
Cela dit, cette médaille nous a apporté une belle notoriété. Le concours Lépine, c'est avant tout une reconnaissance qui agit comme un label. Ce n'est pas tant un coup de com' ou des centaines de commandes immédiates, mais plutôt une marque de crédibilité. Quand on nous présente en disant "attendez, ces gars-là sont médaillés d'or au concours Lépine", cela enlève beaucoup de barrières, que ce soit pour les acheteurs ou pour les partenaires. Cela joue un peu le rôle de garantie, et d'ailleurs, nous avons collé le label sur la machine.
Diriez-vous que la médaille du concours Lépine est votre plus grande fierté, ou y a-t-il autre chose qui vous rend encore plus fier ?
Non, je ne dirais pas que le concours Lépine est ma plus grande fierté. Pour moi, la plus grande fierté sera le jour où je verrai des enfants en Afrique boire de l'eau potable grâce à nos machines. Ça, ce sera vraiment le moment le plus gratifiant pour nous. Nous avons reçu nos premières commandes pour l’Afrique il y a environ deux mois, et les premières livraisons sont prévues pour septembre. Nos machines partiront vers Tahiti, en Polynésie française, sur plusieurs îles, ainsi qu'en Côte d'Ivoire.
Comment se déroule la production de vos machines et quelles collaborations avez-vous mises en place pour améliorer la technologie ?
Aujourd'hui, nous avons une capacité de production d'environ 200 machines par mois. Pour cela, nous avons établi un partenariat avec un industriel, chez qui nous avons une ligne de production dédiée. En ce qui concerne l'amélioration continue de notre technologie, nous collaborons avec plusieurs partenaires, tant dans le secteur privé que public. Sur la partie R&D, nous travaillons avec des laboratoires accrédités par le ministère de la Santé. Il y en a trois ou quatre en France, et nous avons la chance d'en avoir un à une demi-heure de chez nous : le laboratoire Ianesco. Avec eux, nous avons mené des analyses approfondies sur l'eau de la Marne, car c'est cette eau qui pollue la Seine. Grâce à notre technologie, nous avons réussi à rendre l'eau de la Marne potable, suite à une rencontre avec Philippe Degy, ancien ministre des Outre-mer, qui nous avait mis au défi sur ce projet.
Malheureusement, au moment de finaliser le projet, un remaniement ministériel a eu lieu, annulant le financement prévu et nous obligeant à reprendre de zéro dans un contexte politique instable. Malgré cela, nous continuons d'être accompagnés par des laboratoires et des experts pour améliorer continuellement notre technologie.
Combien êtes-vous désormais dans l’entreprise ?
Aujourd'hui, Filtralife, c'est une équipe de 15 personnes qui gravitent autour du projet. Beaucoup de ces collaborateurs sont des prestataires externes, mais ils sont pleinement investis dans notre mission. Nous avons également environ 80 à 90 représentants répartis un peu partout dans le monde.
Et quelles sont vos perspectives de développement pour l'avenir ?
D'ici la fin de l'année, nous prévoyons l'achat d'un grand bâtiment, où nous envisageons de construire une unité de production ou d'assemblage. Nous prévoyons également d'embaucher un certain nombre de nouveaux employés pour accompagner cette expansion. Tout cela devrait se concrétiser dans les semaines à venir.
Nous prévoyons aussi de lancer une nouvelle offre pour les particuliers. Quand nous avons lancé Filtra Life, nous avons reçu des milliers d'e-mails de personnes nous disant : "C'est génial ce que vous faites à l'étranger, mais nous, en France, qu'est-ce qu'on a ?" Ces personnes nous ont expliqué qu'elles étaient de plus en plus préoccupées par la qualité de l'eau du robinet, avec les scandales liés aux PFAS, aux pesticides, et aux problèmes d'approvisionnement en eau potable dans certaines communes.
Au départ, nous pensions que ce n'était pas vraiment notre marché, mais lors du concours Lépine, nous avons discrètement placé un QR code sur notre stand, qui renvoyait vers une page d'information sur une possible solution pour les particuliers. À notre grande surprise, à la sortie du salon, plus de 3 000 personnes s'étaient inscrites à une première newsletter, et aujourd'hui, nous avons environ 2 000 personnes sur une liste de précommandes. Cela nous a permis de faire une très belle étude de marché. Et maintenant, nous lançons cette nouvelle solution. J’en ai vendu dix rien qu'hier. Cette nouvelle offre, qui s'appelle également Filtralife, est en précommande et sera bientôt disponible pour nos distributeurs.