Fondée en 2017 à Paris, Meet My Mama révèle et valorise les talents culinaires de femmes venues des quatre coins du monde. En combinant accompagnement entrepreneurial, formation professionnelle et service traiteur engagé, l’entreprise sociale et solidaire donne aux Mamas les moyens de vivre de leur passion tout en célébrant la richesse des cuisines du monde. Rencontre avec Youssef Oudahman, son cofondateur, qui partage cette aventure humaine et engagée.
Derrière chaque recette se cache une histoire, un héritage, une culture. C’est cette richesse que Meet My Mama met en lumière depuis 2017. Co-fondée par Youssef Oudahman, Loubna Ksibi et Donia Souad Amamra, l’initiative permet à des femmes talentueuses, souvent issues de parcours de vie complexes, de faire de leur passion pour la cuisine un véritable tremplin professionnel.
À travers un écosystème unique mêlant incubateur, centre de formation et traiteur événementiel, Meet My Mama accompagne ces femmes vers l’indépendance économique tout en offrant aux entreprises des expériences gastronomiques mémorables. Rencontre avec Youssef Oudahman, pour qui ce projet va bien au-delà de l’assiette : il s’agit de changer les regards et d’apporter des solutions concrètes pour une société plus inclusive et responsable.
Comment est né Meet My Mama ?
Nous avons cofondé Meet My Mama à trois, avec mes associées Loubna Ksibi et Donia Souad Amamra. L’idée a émergé de nos parcours de vie et des femmes qui nous ont inspirés, en particulier nos mères et nos grands-mères. Comme beaucoup, j’ai grandi en constatant que nos mères possèdent souvent un savoir-faire exceptionnel en cuisine, un talent qui émerveille leur entourage. Pourtant, ces femmes ne réalisent pas qu’elles ont de l’or entre les mains. Elles pourraient vivre de leur passion, gagner en pouvoir et participer aux transformations sociales. C’est une frustration profonde : pourquoi des femmes comme ma mère ne parviennent-elles pas à s’émanciper grâce à leurs compétences ? Les femmes, notamment celles issues de la diversité, sont souvent les grandes oubliées de notre société. Elles font face à des obstacles supplémentaires, et cela m’a toujours interpellé.
À l’origine, je ne me destinais pas du tout à l’entrepreneuriat. Mon rêve était d’être reporter de guerre. J’ai fait des études d’histoire, poussé par le désir de découvrir la réalité du monde. Aujourd’hui, je retrouve cet accès à la réalité dans l’entrepreneuriat social. Malheureusement, cela signifie aussi être confronté aux problèmes vécus par les publics que j’accompagne.
J’ai découvert l’univers de l'entrepreneuriat en travaillant pour une startup dans l'agroalimentaire. Puis, en 2015, j’ai décidé qu’il était temps d’agir pour la cause des femmes. Je suis parti en Asie du Sud-Est, où j’ai travaillé dans une entreprise écologique. Là-bas, un constat m’a profondément marqué : quand on entreprend, c’est pour résoudre un problème concret. Il n’y a pas de place pour le bavardage. En Malaisie et au Cambodge, j’ai rencontré des femmes très débrouillardes qui vivaient de leurs compétences. Cette expérience m’a profondément nourri. À mon retour, j’ai rencontré Loubna et Donia, et nous avons décidé de nous lancer ensemble.
Vous êtes donc parti de la question de l’émancipation des femmes plutôt que de l’accompagnement de talents culinaires ?
C’est un mélange des deux. Meet My Mama se situe au carrefour de plusieurs idées : valoriser les femmes tout en partant de leurs savoir-faire culinaires et de leur richesse culturelle. Mes associées et moi avons grandi dans des environnements cosmopolites, ouverts sur les cuisines du monde. Et celles-ci sont sous-représentées : elles existent certes dans la restauration classique, mais très peu dans l’univers du traiteur. Dans l’événementiel d’entreprise, l’offre est souvent standardisée, coûteuse, avec peu de valeur ajoutée. On ne sait ni ce que l’on mange, ni d’où cela vient, et cela ne raconte aucune histoire.
Nous avons voulu répondre à ces manques en construisant un projet autour de cette industrie. Notre question centrale était la suivante : comment permettre à des femmes, qui font face à des contraintes au quotidien, de vivre de leur talent sans avoir à ouvrir un restaurant ? Avec un modèle axé sur le traiteur à la commande, ces femmes travaillent à leur rythme. En huit jours par mois, nos Mamas génèrent des revenus tout à fait décents en préparant des commandes pour 200 ou 300 personnes. Cette approche marie efficacement business et impact social. Et donner du pouvoir à ces femmes a des répercussions bien au-delà. Cela influence les enfants, crée des role models et participe au changement de société.
Comment fonctionne Meet My Mama ?
Meet My Mama repose sur une mission centrale : donner du pouvoir aux femmes pour qu’elles puissent vivre de leur talent et participer aux transformations sociales. Pour y parvenir, nous avons construit un écosystème hybride en trois entités, qui s’articulent de façon complémentaire entre accompagnement, formation et valorisation.
Tout commence avec l’association. C’est la porte d’entrée pour toutes les bénéficiaires, aujourd’hui majoritairement des femmes, même si certains hommes nous rejoignent aussi. Les profils arrivent par les réseaux sociaux, la presse, le bouche-à-oreille, ou des prescripteurs comme France Travail, des associations partenaires ou des agences de développement économique.
L’association a une triple mission :
- Informer et orienter : on accueille les bénéficiaires pour réaliser un diagnostic socio-professionnel. En fonction de leurs aspirations, on leur propose des parcours adaptés ou on les réoriente vers des structures spécialisées.
- Accompagner celles qui veulent entreprendre : c’est ici qu’intervient notre incubateur, conçu pour des femmes qui souhaitent lancer un business traiteur. Pendant 18 à 24 mois, elles bénéficient d’un accompagnement concret :
- Accès gratuit à une cuisine professionnelle pendant 10 mois.
- Coaching quotidien pour monter en compétence sur la production.
- Formations au métier de cheffe cuisinière et cheffe d’entreprise pour leur donner les outils nécessaires.
L’incubateur leur permet de démarrer dans les meilleures conditions et de créer des entreprises traiteurs viables et pérennes. Chaque année, on accompagne des promotions de 8 à 12 participantes, ce qui nous permet de leur offrir un suivi personnalisé et adapté à leurs besoins.
Nous avons aussi un centre de formation, notre deuxième entité, pour celles qui préfèrent un emploi salarié. Ici, on forme des talents pour les positionner chez des acteurs du secteur de la restauration. Nous travaillons avec des entreprises partenaires comme Sodexo ou TigerMilk, sélectionnées pour leurs conditions d’accueil et leur capacité à valoriser ces profils. Notre rôle est d’identifier, former et positionner les bénéficiaires pour qu’elles accèdent à un emploi stable et valorisant.
L’association reste d’ailleurs présente pour accompagner ces femmes sur la durée, qu’elles aient choisi l’entrepreneuriat ou l’emploi salarié. Certaines de nos premières participantes, il y a 5 ans, gèrent aujourd’hui de véritables TPE, et nous continuons à les soutenir dans leur évolution en tant que cheffes d’entreprise.
Enfin, le traiteur événementiel vient compléter l’écosystème. Cette troisième entité, plus commerciale, permet à nos Mamas de rayonner en proposant des voyages culinaires aux entreprises. Concrètement, on organise des événements où les participants découvrent des spécialités du monde entier, préparées par nos Mamas. Mais ce n’est pas juste de la cuisine : les Mamas prennent la parole, racontent leur histoire, partagent leur culture. Cela crée du lien humain, donne du sens aux événements et touche chaque année 100 000 à 200 000 personnes.
Pour les entreprises, c’est une expérience à forte valeur ajoutée : elles offrent des moments authentiques et impactants, qui réhumanisent les échanges entre collaborateurs. Comme on le dit souvent, la cuisine est un vecteur de message. Elle parle de culture, de transmission et d’engagement tout en permettant des moments de convivialité qui vont au-delà des barrières hiérarchiques.
Comment se structure votre modèle économique ?
Le traiteur événementiel est la partie rentable de notre modèle. C’est une activité commerciale qui permet de financer une partie des actions sociales portées par l’association, qui elle reste d’intérêt général.
En résumé, Meet My Mama, c’est un projet qui lie accompagnement social, employabilité et valorisation des talents culinaires. On donne aux femmes les moyens de réussir, tout en proposant aux entreprises des expériences uniques. C’est la preuve qu’on peut allier impact social et performance économique, dans un modèle durable et porteur de sens.
Est-ce que vous avez un exemple marquant d'une Mama dont le parcours de vie a été transformé grâce à cette expérience ?
Il y en a beaucoup. Mais si je devais en citer un, ce serait Fouzia, qui représente parfaitement l’impact de Meet My Mama. Fouzia est marocaine, elle a été gouvernante pendant longtemps dans une famille où ça s’est plus ou moins bien passé. Elle a toujours eu une passion viscérale pour la cuisine : pour elle, cuisiner, c’est exister. Elle s’est lancée en 2014-2015 avec une petite activité traiteur, seule, en faisant du porte-à-porte malgré la barrière de la langue. Pendant presque 4 ans, elle a tout tenté pour avancer sans vraiment y parvenir : pas de laboratoire de cuisine, des démarches compliquées… jusqu’à ce qu’elle tombe sur nous en 2018, recommandée par une autre Mama.
Quand on a rencontré Fouzia, elle était au bout du rouleau, épuisée, un peu éteinte par ces années de galère. Mais on a commencé l’accompagnement : on l’a formée, on lui a fourni une cuisine professionnelle, et très vite, on l’a emmenée sur des prestations. C’est là que la magie a opéré : elle a pris confiance en elle, appris à prendre la parole en public, s’est perfectionnée, et on a vu une transformation incroyable.
Ce qui m’a marqué, c’est tout ce qu’il y a eu en dehors de la cuisine : elle a appris la langue beaucoup plus vite, s’est sentie capable d’exister dans l’espace public, et surtout, elle a transformé sa vie de famille. Elle redistribue aujourd’hui ses revenus dans l’éducation de sa fille, et elle est devenue un modèle de réussite.
Aujourd’hui, Fouzia est l’une des meilleures cheffes de gastronomie marocaine en Île-de-France. Elle travaille sur les plus gros événements : Château de Versailles, Louvre, des réceptions prestigieuses, et elle le raconte elle-même avec fierté.
La diversité des profils est-elle une richesse pour Meet My Mama ?
Oui, parce que Meet My Mama, c’est ça : on se fiche d’où viennent ces femmes. Il y a des autodidactes, des femmes en reconversion, mais aussi des profils comme Eva, une Islandaise qui a fait l’école Ferrandi, une grande référence, et qui n’avait jamais réussi à trouver sa place dans la gastronomie. Le monde de la cuisine est souvent fermé pour ces femmes : dans le meilleur des cas, elles obtiennent des postes bien en dessous de leur talent et de leur potentiel.
Chez nous, des profils comme Eva échangent avec des Mamas comme Fouzia. Elles n’ont rien en commun en apparence, ni le même parcours, ni la même culture, mais elles se retrouvent dans la passion pour la cuisine. C’est cette passion qui leur permet de se reconstruire et d’avancer, même après des parcours de vie souvent marqués par des difficultés.
Vous avez récemment levé un million d’euros. À quoi vont servir ces fonds ?
Ils vont nous permettre d’accélérer notre développement sur trois axes principaux :
Le premier, c’est la technologie. Le métier de traiteur est très complexe quand on se lance seul : il faut créer les recettes, produire, gérer la logistique, la sécurité alimentaire, la décoration, le service… C’est un casse-tête. Résultat : la majorité des indépendants n’arrivent pas à dépasser la première année, car ils n’ont pas accès au bon marché. Et quand je parle du « bon marché », c’est clairement celui des entreprises, le plus porteur.
Chez Meet My Mama, on résout ce problème : on prend en charge une grande partie des opérations pour que les Mamas puissent se concentrer sur la création et la production. Pour aller plus loin, on développe notre catering operating system, un logiciel interne pour automatiser le back-office. L’idée, c’est d’optimiser notre fonctionnement pour créer davantage de valeur commerciale et libérer encore plus de potentiel pour les Mamas.
Le deuxième axe, c’est le marketing et le commercial. On veut continuer à valoriser ce qu’on fait, mieux faire connaître notre offre et attirer de nouvelles entreprises. Plus on grandit, plus on permet à ces femmes de rayonner.
Enfin, on investit dans notre direction artistique. Ce qui plaît dans nos prestations, c’est notre capacité à mettre en valeur les cultures du monde et les Mamas sous leurs meilleurs jours. Ce n’est pas juste de la cuisine, c’est une expérience immersive.
Vous proposez des “voyages culinaires”, quelles sont leurs caractéristiques ?
Quand une Mama partage ses recettes, son histoire, ses traditions, on va jusqu’à recréer son univers. On pense à tout : la décoration, les épices, les tenues traditionnelles. On collabore même avec des lieux comme l’Atelier des Lumières pour proposer une expérience sensorielle complète : les saveurs, les sons, les lumières… Tout est pensé pour transporter les invités. C’est un voyage culinaire comme écologique. Vous découvrez des spécialités du monde entier, sans prendre l’avion. C’est ce qui fait la singularité de Meet My Mama : proposer des expériences qui ont du sens, tant pour les entreprises que pour les Mamas.
Quels changements espérez-vous apporter à la société à travers ce projet ?
Je vais essayer de répondre humblement parce que c’est une question costaud ! Mais notre ambition première, c’est de contribuer à l’équité des chances. Je ne parle pas uniquement d’égalité, je parle d’aller plus loin, vers une véritable équité. Permettre à des femmes de vivre de leur vocation est fondamental pour moi. Je ne veux pas qu’elles se contentent de combler des postes en tension ; je veux qu’elles soient passionnées et épanouies dans ce qu’elles font. Parce qu’une personne qui vit de sa passion, ça change tout : pour la famille, pour les enfants, dans la communauté.
Ensuite, il y a aussi un enjeu culturel fort : montrer un regard positif et objectif sur toutes les cultures du monde. En France, notre culture est magnifique, mais elle n’est pas plus belle qu’une autre. Ensemble, en valorisant cette diversité, on peut créer un vivre-ensemble par le beau et par le bon. C’est un sujet délicat, mais pour nous, c’est un vrai cheval de bataille : montrer que toutes les cultures méritent d’être mises en lumière.
Vous mentionniez aussi la question environnementale ?
Oui, on y travaille beaucoup. Notre ADN est social, mais on vit dans une planète aux ressources limitées, donc ça devient aussi un sujet social. Aujourd’hui, sur notre activité traiteur, on est à fond sur la réduction du coût carbone. C’est un vrai défi, notamment parce qu’on propose de la cuisine du monde tout en respectant des principes de saisonnalité des produits.
Par exemple, notre logistique est en pleine transition : on privilégie les livraisons bas carbone, avec des caisses isothermes plutôt que des camionnettes frigorifiques, et on développe la livraison à vélo ou électrique pour réduire notre empreinte. On essaie aussi de rapprocher les lieux de production des clients pour limiter les distances parcourues.
En cuisine, les Mamas sont formées et sensibilisées à l’anti-gaspillage. On s’assure de ne pas surproduire, de ne pas gaspiller, et ce qui reste est systématiquement redistribué. Enfin, on réfléchit à long terme : comment équiper nos cuisines avec des technologies bas carbone ? C’est un défi technique, mais on avance pas à pas.
Votre objectif, c’est donc de devenir le traiteur le plus responsable ?
Exactement. On veut être la solution traiteur avec l’impact RSE le plus fort. On ne sera peut-être pas les leaders en termes de chiffre d’affaires, mais on aspire à être au sommet de ce qu’on peut faire en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Quelles sont les leçons les plus importantes que vous tirez de votre parcours d’entrepreneur ?
La première, c’est que l’entrepreneuriat, c’est une course de fond. Quand on porte des sujets d’impact et d’innovation, c’est encore plus vrai. L’innovation, on en parle beaucoup, mais c’est dur. Il faut de l’endurance, de la patience. On demande aux entrepreneurs d’être ambitieux, réactifs, productifs, mais il faut aussi savoir tenir sur la durée et accepter que chaque jour, c’est une nouvelle crise à gérer.
Il faut aimer résoudre des problèmes. C’est ça, au fond, l’entrepreneuriat. Derrière chaque belle histoire qu’on voit sur LinkedIn, il y a une somme incroyable d’embûches qu’on a dû surmonter. Mais c’est dans cette résolution de problèmes que je trouve mon bonheur.
Un conseil à ceux qui voudraient se lancer dans une start-up à impact ?
Faire. Tout simplement. Être dans le concret, aller sur le terrain, tester, observer la réalité. On se fait souvent beaucoup de films dans sa tête, mais c’est dans l’action qu’on trouve les réponses. Qu’il s’agisse d’un succès ou d’un échec, il y a toujours quelque chose à tirer d’une expérience concrète.
Faire, faire, faire. Ensuite, bien sûr, il y a les réseaux pour raconter ce qu’on a fait, mais le plus important, c’est d’agir. C’est en se confrontant au réel qu’on avance, et c’est ce dont on a le plus besoin aujourd’hui.